[Vient des
Docks ]
Le Buveur d’Âmes progressaient dans les rues vides du quartier ouvrier, sans se cacher ou se précipiter, ses deux lames rangées. L'armure de cuivre projetait quelques reflets aux alentours lorsque la douceâtre lumière de la lune se frayait un chemin parmi les nuages. Autour de lui seul le silence régnait.
Il avait atteint le quartier industriel facilement, il s'était accroché à un train de marchandises partant des docks. Discret et rapide. Il avait mis un peu plus de temps à trouver l'adresse qu'on lui avait indiqué. Mais maintenant il se tenait face au bâtiment, un vieil atelier de forge désaffecté, haut de quelques étages.
Il devait dater des débuts de la capitale, des premiers temps de l'exploitation de minerais, et n'avait jamais été détruits depuis.
Sans chercher à se cacher, il progressa vers la porte principale, ornée du symbole d'une importante compagnie de traitement des minéraux. Il arriva devant les deux battants de fer et les poussa d'une main chacun. La rouille et l'âge faisait grincer horriblement le tout, mais l'équilibre parfait de chacun des battants permettait de les ouvrir facilement.
A l'intérieur, une quinzaine d'hommes l'attendait, des fusils braqués sur sa poitrine. Sans doute une petite bande mercenaire. Ils étaient assez bien armés et mais ne possédaient aucune protection personnelle, sans doute avaient-ils plus l'habitude de s'en prendre à de misérable ouvriers sans défense pour casser une quelconque grève.
Le tonnerre des armes rugit dans la pièce, mais l’Écarlate avait déjà bougé, se jetant sur le côté. Depuis un certain temps, un voile rouge s'était abattus sur sa vision, et son envie de meurtre devenait de plus en plus forte. Il se sentait en plus grande forme que jamais, prêt à défier la planète entière.
Le premier mercenaire à tomber ne comprit pas ce qui lui arrivait, son meurtrier se déplaçait avec trop d'aisance pour qu'il réussisse à suivre ce qui se passait. Mais les autres mercenaires réagirent promptement. Les balles déchirèrent de nouveau l'air.
L’Écarlate sentit quelques unes d'entre elles fendre son armure et pénétrer ses chairs. Mais la douleur le rendait plus fort. Sans y prêter la moindre attention, il décapita sa deuxième victime et ouvrit la cage thoracique de la troisième, avant de se jeter sur une quatrième qui l'accueillit d'un tir de fusil à pompe.
Les plombs le frappèrent en plein torse, plusieurs s'enfonçant dans sa poitrine, mais sa charge ne ralentit même pas et Daes'Rakan fendit le crâne du téméraire. Un cinquième adversaire fut empalé sur la lame démoniaque sans avoir le temps de réagir.
Il se déplaçait à une vitesse stupéfiante, déroutant de force et de maîtrise. Autour de lui le sang jaillissait, traçant des arabesques vermeils dans l'air à chaque moulinets de son épée. Chacune de ses victimes arrosait de ses fluides vitaux l'armure de cuivre, et le symbole macabre du Dieu du sang commençait à apparaître sur le plastron.
Trois autres adversaires tombèrent sans qu'on ne leur laisse aucune chance, Daes'Rakan allait et venait, les chairs, les os ou même l'acier ne ralentissaient pas ses mouvements. Le Buveur d'Âmes se dirigeait vers une neuvième victime, qui avait dégainée une simple lame de combat. Quelques secondes plus tard elle s'effondrait, un bras tranchée et la gorge ouverte, baignant dans son propre sang.
Le voile rouge n'avait toujours pas quitté sa vision. Tous autour de lui étaient faibles, de simples proies, il n'en épargnerait aucune. La vie n'était là que pour mourir, et il était là pour accélérer les choses.
Le dixième et le onzième mercenaires tombèrent sous le même coup de lame, qui trancha sans peiner leur deux torses. Le douzième fut saisi à la gorge, la main gantée lui comprimant la trachée. Un craquement sec se fit entendre et l’Écarlate projeta le corps sans vie sur le treizième mercenaire avant de les empaler tout deux.
Les blessures s'étaient accumulées, commençant même à surpasser la frénésie du sang-mêlée. Ses mouvements étaient de plus en plus saccadés, il trébucha même. Il était maculé de sang, dont une bonne partie était le sien. Les blessures s'accumulaient sur son torse et ses bras, deux balles avaient même creusées des sillons sanglants sur l'une de ses joues.
Il ne restait plus qu'un mercenaire. Lâchant son épée, Thanatos lui agrippa le bras gauche avant qu'il ne puisse réagir, l'attirant vers lui. Un coup de genou dans le ventre l'empêcha de se défendre, et, saisissant un morceau de métal à même le sol, Thanatos lui cloua la main au mur le proche, assez haut, provoquant un hurlement de douleur.
Avisant un autre morceau de métal, il répéta l'opération avec l'autre main, soulevant assez le corps pour qu'il ne puisse pas toucher le sol avec ses pieds. Pour finir il lui arracha la langue. Restait à voir si quelqu'un aurait la curiosité de venir voir l'endroit avant que celui-ci ne meure.
Thanatos récupéra son arme et alla se placer face à la porte, s'assit en tailleur et posa Daes'Rakan sur ses genoux. Il ferma les yeux et se laissa aller, dans l'odeur du sang frais, de la puanteur de la mort et des viscères répandus au sol.
Quelques secondes plus tard, un léger bruit se fit entendre. Deux mains qui applaudissaient. Thanatos rouvrit les yeux.
Face à lui, dans l'encadrement, se tenait sa cible, Khaigit. Éclatant dans son armure de combat noire, son sabre à la ceinture et ses dagues de lancer alignées sur son torse. Son visage était dissimulé par un masque noire sur lequel était représenté un visage horrible, grimaçant. La dernière image que ses victimes emportaient de lui. Ses cheveux bruns, mi-longs, étaient retenus en catogan à l'arrière de sa tête.
Il jeta un coup d’œil à la pièce, s'attardant sur le mercenaire qui agonisait lentement, suspendus au mur.
-Je reconnais bien là l’œuvre de la Lame Sanglante. Je suppose que tu es ici pour me tuer ?
Sans dire un mot, l’Écarlate se releva. Le voile rouge, qui avait presque disparu, était retombé et il n'avait qu'une envie : lui éclater le crâne contre le métal de l'un des murs. Mais Temis lui avait demandé un homme vivant, elle aurait donc un homme vivant.
Daes'Rakan jaillit entre ses mains et il se précipita vers sa cible. Peut-être serait-il un peu abîmé.
Malgré la fureur qui l'agitait, et la puissance qu'il tirait de la souffrance de ses victimes -il n'avait pas torturé le dernier mercenaire juste pour le plaisir- il demeurait trop lent et Khaigit évita facilement le coup, tandis que le sang-mêlée, emporté par son élan, dégringolait les marches situées derrière la porte.
Alors qu'il se relevait, une dague venait se planter dans sa cuisse droite et Khaigit lui bondissait dessus, sabre dégainé et prêt à frapper. Il n'eut que le temps de bondir en arrière pour éviter le coup, avant de parer une seconde attaque à l'aide de Daes'Rakan.
Khaigit connaissait la puissance de cette lame et ne tenait pas particulièrement à forcer, mais il devait agir vite.
Il connaissait la puissance de Thanatos, et ne tenait pas particulièrement à l'affronter sur le long terme. Que son ancien supérieur soit encore debout tenait déjà du miracle, il avait pourtant engagé assez de mercenaires pour tuer quelqu'un non ? Et toutes ces blessures, comment pouvait-il encore combattre ? L'ancien assassin n'avait pas de réponses et cela le perturbait, et l’effrayait même un peu.
Il avait sous-estimé sa cible apparemment, et vu l'estime qu'il avait pour elle, cela était particulièrement inquiétant. Il était conscient de la difficulté technique de certaines passes d'armes de Thanatos. Mais l’assassin se révélait encore plus coriace qu'il ne le pensait.
Le Buveur d'Âmes exultait. Sa fureur allait croissante, et il oubliait petit à petit ses blessures. Les plus fines cicatrisaient même. Mais son talent s'en trouvait affaiblis. Il ne tarderait pas à commettre une faute, il en était presque conscient, et Khaigit en tirerait sans aucun doute profit.